Vous connaissez le syndrome des montres IA ? Quelle que soit l'image d’horlogerie qu’on demande à ChatGPT/Dall-E, Midjourney ou Stable Diffusion, ces stupides outils sont incapables de générer autre chose qu'un cadran bloqué à 10h10. Dans le même ordre d'idées, il est rigoureusement impossible de leur demander la représentation crédible d'un seigneur médiéval — hors celles fantasmées par les séries TV et l''heroic fantasy, bien sûr.
10h10, c'est LA disposition d'aiguilles reproduite à l’infini dans les publicités pour les montres, c'est-à-dire les milliers d’images que les IA génératives ont digérées pendant leur « entraînement ». C'est comme ça depuis qu'un publiciste plus malin que les autres a compris que cette disposition était idéale : pour la symétrie, pour évoquer un sourire, et surtout pour laisser toute la visibilité possible au logo du fabricant. Ensuite, évidemment, tout le monde lui a emboîté le pas. Et c'est ainsi qu'aujourd'hui, les IA génératives sont coincées : impossible de montrer autre chose que 10h10.
Image générée par ChatGPT/Dall-E le 13 août 2025, avec le prompt : « Fais-moi une image photoréaliste de 5 montres en vitrine. Chacune doit afficher une heure différente des autres. »
Il y a quelque temps, j'ai eu affaire au même type d'impasse, mais cette fois pour une illustration à prétention « historique ». Dans le cadre d'un projet de publication où il souhaitait parler d'IA générative, l’un de mes clients avait expressément besoin d'une représentation IA de Guillaume le Conquérant. Pour les lecteurs·trices qui n’auraient pas grandi en Normandie, je précise que cet individu à la vie plus sanglante qu’un épisode de Game of Thrones fut duc de Normandie en 1035, puis roi d'Angleterre jusqu'à sa mort, en 1087. Dans ma région natale, c’est une véritable légende — alors qu’on a oublié les noms des princes normands qui, à la même époque, gouvernaient une Sicile raffinée, plus tournée vers les arts et la culture que vers le cassage de têtes ; la preuve qu'il vaut souvent mieux se comporter comme un psychopathe, si l'on veut rester dans les livres d'’Histoire...
Évidemment, je ne me suis pas contenté de prompter « Fais-moi le portrait de Guillaume le Conquérant avec son épouse Mathilde de Flandre en 1087 », sinon j'étais sûr d'obtenir ce que vous voyez là : une espèce de fantasme monarchique remixé par les Bridgerton... Observez comme ça ressemble vaguement à un portrait du XIXe siècle qui ne se serait pas encombré de réalité historique : couronne à fleurons du XIVe siècle, vêtements brodés totalement anachroniques, corpulence Weight Watchers pour Guillaume… Sans parler de l’étonnante fraîcheur de Mathilde, morte depuis 4 ans en 1087.
Au contraire, j'ai longuement détaillé les vêtements que je voulais (une tunique, un bliaud et un manteau fermé par une fibule), j'ai décrit la couronne de style normand (un circlet d'or orné de cabochons, pas un truc du genre Kaamelott ou Les Rois maudits), je me suis appesanti sur les murs en pierre de Caen du XIe siècle… Mais rien à faire : plus je tentais de préciser ma demande, plus je tombais sur un remix des séries précitées – quand ce n'était pas sur une image digne des Misérables.
Selon le chroniqueur médiéval Orderic Vital, Guillaume arborait une obésité spectaculaire à la fin de sa vie. Avec une complaisance presque gourmande, Vital précise même que, lors de ses funérailles à Caen, on a tellement forcé pour encastrer le corps dans son cercueil que le ventre a littéralement éclaté (les chroniqueurs médiévaux ont un genre d'humour un peu particulier)… L'ennui, c'est que représenter une personne affligée d’une obésité morbide, même avec près de mille ans de distance historique, c'est rigoureusement impossible pour ChatGPT/Dall-E. Son maximum en la matière, c'est la corpulence du Père Noël — le seul gros homme politiquement correct avec lequel il a été abondamment entraîné. Et voilà comment je me suis retrouvé avec des représentations tristos de Santa Claus déguisé en roi d'opérette :
Quelques tentatives de ChatGPT/Dall-E.
Enfin, ne parlons pas de crédibilité historique : comme je l'ai signalé un peu plus haut, l'IA n'a pas bronché une seule fois alors que je lui demandais d'intégrer dans l'image la reine Mathilde, morte en 1083.
Conclusion ? Les prosélytes de ChatGPT peuvent toujours vanter la « qualité des lumières » et la « finesse du rendu ». La réalité, c'est qu'il est incapable de créer quoi que ce soit : à son maximum, il ne sait que régurgiter laborieusement les millions de données qu'il a dévorées. La seule vérité que l'IA peut nous raconter, c'est donc celle de ses propres limites.
On en parle aussi dans les formations IA que je propose à Bruxelles et en Wallonie.